Murard (Lion), Zylberman (Patrick)
Le petit travailleur infatigable
Villes-usines, habitat et intimités au XIXe siècle
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Ville, race et travail… Comment bâtir des villes de travail, des villes au travail ? Qu’est-ce qu’une spatialité eugénique ? Comment forger une race de travailleurs (entendez tout autre chose qu’un prolétariat) ? Ces questions incandescentes posées par le XIXe siècle, cet âge de la mise au travail en masse, puis portées au fronton des «civilisations concentrationnaires », nous traversent de part en part. Voyez Orwell, voyez Zamiatine. Â l’horizon de l’État, de tout l’État, un Taylorisme agrandi, étendu, ainsi que le décrivait l’auteur de Nous autres, «à toute la vie, à chaque pas, à chaque mouvement », intégrant les vingt-quatre heures de la journée. Apprendre à travailler, voilà le leitmotiv de ce temps ; les camps de travail forcé n’en sont que la forme condensée. Peut-être alors comprendra-t-on que, de même que la cité minière ne devait son existence qu’à tenter sans trêve, inlassablement, de former une race de mineurs, la « ville industrielle » ne puisse être et durer sans cette recherche d’un homme nouveau, qu’après Musil, nous nommons «le petit travailleur infatigable ». La ville de santé, de travail et de bien-être ne se pense pas dans la catégorie du prolétaire, mais dans celle de l’homme nouveau : plus qu’un modelage somatique, plus qu’un dressage moral (« une moralisation »), une eugénique de la force de travail.
Thèmes : Sciences Humaines, Essais