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Lamarche-Vadel (Gaëtane)
Étrangers, pris dans les rets du temps [pdf]
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« Temporalités absurdes. Marathons pour obtenir des documents transitoires, qui se retrouvent vite périmés. Attente sans fin du sésame. Gaëtane Lamarche-Vadel décrit avec brio les situations : délais de procédure, administration inaccessible du fait de la dématérialisation des démarches, injonctions contradictoires […] En cas d’échec de la régularisation, c’est la privation de liberté, dans des centres de rétention administrative. […] Alors même que l’économie française a besoin de ces étrangers renommés “migrants irréguliers”, voire “délinquants“. Le temps est ici un outil exorbitant pour discipliner, assujettir, exploiter une main-d’œuvre en lui déniant ses droits et en menaçant sa santé. »
[Hélène-Yvonne Meynaud, Le Monde diplomatique, janv. 2025]
« Bourdieu souligne notamment combien la précarité sociale nous projette dans des formes d’irréversibilité du passé, d’evanescence du présent et d’imprévisibilité de l’avenir qui ne sont tout simplement pas du même ordre que celles que peut vivre “l’homme” générique dont les philosophes estiment pouvoir parler. Autrement plus radicales, ces formes d’épreuve du temps expulsent purement et simplement les classes dépossédées du long fleuve tranquille que peut être le temps des bien nantis […] Toute domination sociale est en somme une domination spatiale et temporelle, qui impose une certaine polarité, une certaine cadence et une certaine chronophagie, et qui doit donc être étudiée comme telle. C’est ce défi que relève le livre de Gaëtane Lamarche-Vadel, sur le cas particulier des étrangers dans la France de ce début de millénaire. En une centaine de pages aussi précises que concises, l’autrice va et vient entre les trajectoires singulières des “migrants”, “arrivants”, “demandeurs d’asile” et autres “sans-papiers” qu’elle a rencontrés, suivis ou accompagnés, et une analyse philosophique mais spécifique du lourd appareillage politique ou policier qui structure un certain rapport au temps : celui de ces résidents impossibles – et éternels “migrants” – que sont lesdits étrangers […] De ce livre qui libère la pensée, nous proposons ici un extrait consacré aux multiples avatars de ce qui est peut-être le cœur du “temps de l’étranger” : l’attente. »
[Pierre Tevanian, Les mots sont importants, 24 déc. 2024]
« C’est par un magnifique essai de cent pages que l’auteure explore les abîmes du temps du migrant qui se cogne aux portillons des règles. Ces heures, ces jours, ces mois, ces années d’attente défont le temps et l’espace de chacun d’eux. L’ouvrage déploie précisément cette incroyable hétérochronie. L’attente pour le dépôt d’une demande d’asile, pour l’accès en centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA), d’une réponse à la demande de titre de séjour, de la décision qui précise l’apprentissage de la langue française, l’attente après la demande d’autorisation de travail, de la demande d’aide médicale d’État, de l’accès à la naturalisation. Chaque portillon franchi débouche sur un nouveau sas. Une segmentation du temps qui casse les liens entre “là-bas” et les liens “ici”, les différentes versions de “qui l’on est”, les espoirs qui s’immobilisent. Entre répétition et temps inattendu, l’hétérochronie est une “dispersion de soi” qui accroît la vulnérabilité, la dilate à chaque étape.
Comment se décline cette casse ? “Accès au séjour, Séjour court, Séjour long, Séjour temporaire, Admission exceptionnelle au séjour, Autorisation provisoire au séjour, Droit au séjour, Carte de séjour temporaire pluriannuelle, résident permanent, Saisonnier (travail) Transitoires (mesures), Durée déterminée, Durée indéterminée, Durée ininterrompue, Validité, Ancienneté, Délais, Années-mois-semaines-heures-minutes-secondes, Zone d’attente, Garde à vue, Assignation à résidence, Rétention, Prolongation, Prorogation.”
Cette vulnérabilité se tient tout au long de la chaine de circulation des migrants en France. L’auteure fait le tour de ce grand manège. L’hétérochronie déroule ainsi des instants sans épaisseur ni extension, circuit en boucle, spirale topologique. Attendre un lieu refuge et protecteur, des nouvelles de l’un de ses réseaux, un récépissé et donc une promesse, un prochain départ ou un prochain retour, attendre un document, attendre une réponse qui n’arrive pas, attendre.
Avec Gaëtane Lamarche-Vadel, on est au cœur de l’emprise du droit conçu “comme un moulage auto-déformant, soulignait Gilles Deleuze, qui change continûment, d’un instant à l’autre, ou comme un tamis dont les mailles changeraient d’un point à un autre”. Une belle leçon d’observation des effets du droit. »
[Jean-François Laé, En attendant Nadaud, 28 juin 2024.]