Lamarche-Vadel (Gaëtane)
Étrangers, pris dans les rets du temps
14 × 21 cm | 116 p. | isbn 978-2-86222-101-4   17 €
mai 2024

Disponible en édition numérique

« Militante et chercheure, Gaëtane Lamarche-Vadel dénonce avec originalité et pertinence la guerre faite aux étrangers à partir de la thématique du temps. Alors que le temps commun, banal se décline de mille manières émotionnelles, sensibles, climatiques etc., le temps des étrangers est rythmé par une série de procédures qui constituent autant de barrières, de fermetures, d’épreuves. L’ouvrage de Gaetane Lamarche-Vadel est d’autant plus à l’ordre du jour que le gouvernement français nouvellement nommé en septembre 2024 se range du côté de l’extrême droite concernant la politique migratoire. Trop d’étrangers devient le thème central de l’État qui plus que jamais entend les refouler et les brimer en lançant dans le débat public des mesures comminatoires : déportation des demandes d’asile, privation des allocations familiales, suppression de l’Aide Médicale d’État etc. L’Injonction à l’intégration de l’étranger fonctionne concomitamment comme dispositif d’exclusion sur le fonds du contrôle, de la disciplinarisation et in fine d’un assujettissement quotidien qui sature le temps et prive de temps de façon systémique. Livrés au bon vouloir de l’État, les étrangers ruinent leur vie à essayer de répondre aux attentes qui leur sont adressées. Le bannissement de l’étranger, sa production en acteur imaginaire négatif cause de tous les maux a émergé dans les années 1970-1980, progressant sans arrêt pour acquérir une centralité désormais pleinement instituée, valant légitimation à tous les gouvernements. L’auteure appréhende du point de vue des étrangers les différentes ponctuations de ce paradigme idéologique qui innerve le temps : attendre, compter et décompter le temps, le temps à la découpe, la vie en miettes, le temps arrêté, le présentisme, l’asile ou le temps narré, le temps retrouvé, l’avant forment autant de chapitres qui déroulent la fracture et l’oblitération du temps des étrangers. Loin de faire gagner du temps, la dématérialisation des procédures administratives accentue ces processus, poussant à la recherche de nouveaux intermédiaires qui alimentent un marché corrompu propre aux étrangers. La guerre menée contre les étrangers est pourtant d’avance perdue car les conditions de vie sont devenues au sens propre invivables dans des pays d’origine détruits par la colonisation, la dette, les ajustements structurels et les politiques qui se sont succédé au nom d’un développement mythique. Les étrangers continueront donc toujours plus nombreux à migrer et à espérer une meilleure vie et ce, malgré la dévoration de leur temps que Gaëtane Lamarche-Vadel décortique avec précision et finesse, sans oublier une belle écriture limpide et fluide qui tient en haleine le lecteur. »
[Monique Selim, Chimères n°106, 2025I]

« Temporalités absurdes. Marathons pour obtenir des documents transitoires, qui se retrouvent vite périmés. Attente sans fin du sésame. Gaëtane Lamarche-Vadel décrit avec brio les situations : délais de procédure, administration inaccessible du fait de la dématérialisation des démarches, injonctions contradictoires […] En cas d’échec de la régularisation, c’est la privation de liberté, dans des centres de rétention administrative. […] Alors même que l’économie française a besoin de ces étrangers renommés “migrants irréguliers”, voire “délinquants“. Le temps est ici un outil exorbitant pour discipliner, assujettir, exploiter une main-d’œuvre en lui déniant ses droits et en menaçant sa santé. »
[Hélène-Yvonne Meynaud, Le Monde diplomatique, janv. 2025]

« Bourdieu souligne notamment combien la précarité sociale nous projette dans des formes d’irréversibilité du passé, d’evanescence du présent et d’imprévisibilité de l’avenir qui ne sont tout simplement pas du même ordre que celles que peut vivre “l’homme” générique dont les philosophes estiment pouvoir parler. Autrement plus radicales, ces formes d’épreuve du temps expulsent purement et simplement les classes dépossédées du long fleuve tranquille que peut être le temps des bien nantis […] Toute domination sociale est en somme une domination spatiale et temporelle, qui impose une certaine polarité, une certaine cadence et une certaine chronophagie, et qui doit donc être étudiée comme telle. C’est ce défi que relève le livre de Gaëtane Lamarche-Vadel, sur le cas particulier des étrangers dans la France de ce début de millénaire. En une centaine de pages aussi précises que concises, l’autrice va et vient entre les trajectoires singulières des “migrants”, “arrivants”, “demandeurs d’asile” et autres “sans-papiers” qu’elle a rencontrés, suivis ou accompagnés, et une analyse philosophique mais spécifique du lourd appareillage politique ou policier qui structure un certain rapport au temps : celui de ces résidents impossibles – et éternels “migrants” – que sont lesdits étrangers […] De ce livre qui libère la pensée, nous proposons ici un extrait consacré aux multiples avatars de ce qui est peut-être le cœur du “temps de l’étranger” : l’attente. »
[Pierre Tevanian, Les mots sont importants, 24 déc. 2024]

« C’est par un magnifique essai de cent pages que l’auteure explore les abîmes du temps du migrant qui se cogne aux portillons des règles. Ces heures, ces jours, ces mois, ces années d’attente défont le temps et l’espace de chacun d’eux. L’ouvrage déploie précisément cette incroyable hétérochronie. L’attente pour le dépôt d’une demande d’asile, pour l’accès en centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA), d’une réponse à la demande de titre de séjour, de la décision qui précise l’apprentissage de la langue française, l’attente après la demande d’autorisation de travail, de la demande d’aide médicale d’État, de l’accès à la naturalisation. Chaque portillon franchi débouche sur un nouveau sas. Une segmentation du temps qui casse les liens entre “là-bas” et les liens “ici”, les différentes versions de “qui l’on est”, les espoirs qui s’immobilisent. Entre répétition et temps inattendu, l’hétérochronie est une “dispersion de soi” qui accroît la vulnérabilité, la dilate à chaque étape.
    Comment se décline cette casse ? “Accès au séjour, Séjour court, Séjour long, Séjour temporaire, Admission exceptionnelle au séjour, Autorisation provisoire au séjour, Droit au séjour, Carte de séjour temporaire pluriannuelle, résident permanent, Saisonnier (travail) Transitoires (mesures), Durée déterminée, Durée indéterminée, Durée ininterrompue, Validité, Ancienneté, Délais, Années-mois-semaines-heures-minutes-secondes, Zone d’attente, Garde à vue, Assignation à résidence, Rétention, Prolongation, Prorogation.”
    Cette vulnérabilité se tient tout au long de la chaine de circulation des migrants en France. L’auteure fait le tour de ce grand manège. L’hétérochronie déroule ainsi des instants sans épaisseur ni extension, circuit en boucle, spirale topologique. Attendre un lieu refuge et protecteur, des nouvelles de l’un de ses réseaux, un récépissé et donc une promesse, un prochain départ ou un prochain retour, attendre un document, attendre une réponse qui n’arrive pas, attendre.
    Avec Gaëtane Lamarche-Vadel, on est au cœur de l’emprise du droit conçu “comme un moulage auto-déformant, soulignait Gilles Deleuze, qui change continûment, d’un instant à l’autre, ou comme un tamis dont les mailles changeraient d’un point à un autre”. Une belle leçon d’observation des effets du droit. »
[Jean-François Laé, En attendant Nadaud, 28 juin 2024.]