Guerrand (Roger-Henri)
Corps et confort dans la ville moderne [pdf]
Textes rares et inédits choisis et présentés par Ginette Baty-Tornikian
ISBN 978-2-86222-066-6 / 160 x 240 / 15 ill. N&B / 352 p.   20 €
2010

Disponible en édition papier

« “La margarine, le moteur à explosion, le logement social...” : le rapide aperçu que Roger-Henri Guerrand dresse des sujets chers à Napoléon HP donne l'image d'un collage ouvertement hétéroclite qui pourrait tout aussi bien convenir en première approche à la liste de ses propres centres d'intérêt. La réédition de plusieurs de ses textes aux éditions Recherches et aux éditions de La Villette expose l'étendue de son appétit intellectuel tout autant qu'elle contribue à éclairer la cohérence d'une démarche résolument personnelle. Les Origines du logement social en France 1850-1914 figure parmi ses premiers livres à vocation historique. Issu d'une thèse en sociologie urbaine dirigée par Paul-Henry Chombart de Lauwe, il est paru tout d'abord en 1966 puis réédité en 1987 dans une version augmentée. En inventant pour ainsi dire un objet d'étude inédit, cet opus a assuré à Guerrand une audience durable chez les architectes et les étudiants, et, au-delà, son empreinte polémique se perçoit encore dans les travaux sur l'habitat social. Rééditer aujourd'hui “ce classique singulier, novateur et vieillot, daté et hors du temps”, comme le résume tout en nuances Annie Fourcaut dans la préface, permet donc d'en apprécier directement les apports. S'il s'intéresse principalement à la naissance d'une politique publique, l'auteur convoque une matière foisonnante où la législation, la littérature administrative et les écrits des réformateurs sociaux se taillent une part de choix, mais croisent les usages et les représentations - celles des classes laborieuses autant que des “proprios” -, tandis que la mesure de l'insalubrité conduit à relativiser les programmes en faveur de l'hygiène. D'un tel classique de la recherche architecturale, la rareté de l'iconographie peut étonner. Elle accorde de surcroît plus de place aux caricatures qu'aux édifices, les seuls représentés étant les projets “phalanstériens” de Fourier et de Godin. Ce point est pourtant révélateur des hiérarchies intellectuelles de Guerrand, motivé avant tout par l'histoire de la vie quotidienne, qu'il ambitionne d'aborder sous des angles multiples. Corps et confort dans la ville moderne témoigne de la poursuite d'un tel projet, décliné au filtre d'une sélection de 35 textes, rédigés entre 1963 et 1996, comportant même deux inédits à la manière des best of musicaux. L’éventail des sujets et des objets illustrés ici fait la part belle aux thèmes de prédilection les mieux connus de l'auteur, comme l'Art nouveau, les transports, le logement populaire, les loisirs ou encore les vecteurs de l'hygiène, de la santé et du confort. Il en souligne d'autres, plus distants de la recherche architecturale, comme la colonisation, la sexualité et le contrôle des naissances. Si les textes ne sont pas toujours aussi rares que le postule le sous-titre – provenant pour certains de publications encore faciles à trouver… –, du moins ce recueil restitue-t-il la géographie intellectuelle de Guerrand et le rayonnement de sa plume. Contributeur régulier des ouvrages de l'IFA et du Pavillon de l'Arsenal, il écrit de manière plus ponctuelle dans les revues d'architecture - qu'elles relèvent de la recherche ou de la diffusion - mais collabore durablement avec la revue L'Histoire, qui fournit une part significative des pages réunies ici. Derrière les apparentes redondances, se révèle la cohérence d'un champ d'études aux contours protéiformes, traité avec une même unité de l'approche. C'est toutefois l'évocation du “trivial” qui semble le mieux stimuler sa verve : latrines, bidets et ordures sont autant de prétextes à évoquer les pratiques qu'ils matérialisent et les récits qui les accompagnent. Si la posture de Guerrand s'avère tout à la fois érudite et éclectique, ouvertement non académique et ignorante des frontières disciplinaires, le lecteur peut aujourd'hui reconnaître dans ses écrits des orientations méthodologiques désormais théorisées et des domaines bien établis. On y observe la conscience du rôle des acteurs, de leur environnement social et culturel, qu'ils appartiennent aux élites les plus éminentes impliquées dans les projets de transformations de la ville (philanthropes, maires, ingénieurs ou architectes… ) ou qu'ils soient les représentants anonymes de la foule des locataires, des ouvriers ou des usagers de toutes catégories. De même, la littérature, savante ou populaire, vient éclairer la genèse d'un cadre de vie moderne ou au contraire révéler un sordide que les statistiques officielles peinent à dépeindre. Enfin, l'anecdote est rarement gratuite, convoquée plutôt pour saisir le banal et l'ordinaire ou dénicher l'acte manqué. Histoire des pratiques, histoire culturelle ou histoire matérielle, bien des champs actuels de la recherche pourraient convenir pour qualifier le travail de Guerrand. Si les préfaciers de ces deux livres, Jean-Louis Violeau et Annie Fourcaut, invoquent le contexte culturel dans lequel sont nés ces textes ou encore l'itinéraire social et intellectuel de. l'auteur pour éclairer sa production, l'intérêt de ces rééditions n'est pas seulement d'ordre historiographique. Pour fondateurs qu'aient pu être ses écrits dans l'approche historique du quotidien, ce sont sans doute les mutations présentes du cadre bâti qui leur confèrent leur plus ironique “actualité”... Les sujets qu'il revendique comme “ignobles” par exemple sont-ils toujours aussi sulfureux? La multiplication des travaux historiques sur la place des sensibilités et du corps dans le cadre de vie a certes contribué à les banaliser voire à leur conférer une nouvelle noblesse, à l'image des écrits désormais classiques d'Alain Corbin et de Georges Vigarello pour ne citer qu'eux. Mais, de surcroît, où l'indicible se terre-t-il aujourd'hui dans la “ville durable”, dont les toilettes sèches et les chasses d'eau alimentées par l'eau de pluie sont devenues des lieux communs? Mais plus largement, confrontés à la permanence d'un droit au logement, à la traque de l'étalement urbain ou encore aux politiques de la “qualité” et du “renouvelable”, les textes de Guerrand prennent indéniablement une nouvelle saveur. Outre l'importance du temps long et la multiplicité de points de vue qu'ils invitent à mesurer, ils rappellent surtout que la perpétuelle urgence des défis contemporains peut très bien s'accommoder d'une savante légèreté. » Guy Lambert, Archiscopie, n° 106, octobre 2011

« Jusqu’à sa disparition en 2006, Roger-Henri Guerrand a tenté de saisir les principes historiques du fonctionnement et des rouages de ce qu’il appelait “l’énorme machine urbaine”. Une véritable histoire sociale de la ville moderne que le présent ouvrage, riche de très nombreux textes rares et inédits, permet de mieux appréhender.
De l’architecture à l’art “métropolitain”, du logement social au métro, de l’appartement bourgeois à la machine à laver, des villes d’eau à Haussmann… autant d’«instruments du confort urbain» qui sont ici étudiés à travers la problématique de la démocratisation de l’hygiène et de la “diffusion du bien-être pour tous” qui semblent tous deux sous-tendre le projet même de la ville. Par les pratiques et les représentations qu’ils suscitent, les “nouveaux objets du quotidien de la cité” redéfinissent en permanence la sexualité, l’intimité et les relations à notre propre corps comme à celui des autres. Caractéristiques de l’époque actuelle, ils dessinent de nouveaux hédonismes qui apparaissent aussi comme de nouvelles contraintes. » Alban Sumpf, Architecture d’Aujourd’hui, n°380, novembre 2010.